Vous êtes en librairie, vous voyez ce livre qui vous tente et vous décidez de craquer. Ce que vous ignorez c’est que, ce livre, ce n’est pas celui que l’auteurice a écrit, pas tout à fait du moins. Parce que le traducteur a pris certaines libertés et que la maison d’édition l’a validé. Mais ça, vous ne le saurez jamais. A moins qu’une personne ayant lu la version originale tombe sur le texte traduit et dénonce le problème.
Pour ma part, j’ai découvert ce procédé avec Hachette et sa collection Blackmoon. C’était l’époque du succès de twilight et de l’explosion de la Young Adult en France. N’en pouvant plus d’attendre la traduction pour le dernier tome, j’ai craqué et ai lu Breaking Dawn en anglais. Quand j’ai lu la version française, cela m’a tout de suite sauté aux yeux : tout le trait d’humour du personnage de Jake avait totalement été supprimé et édulcoré. La référence à Cendrillon ? Effacée. Le sarcasme ? Envolé. On avait désormais un personnage fade.
Mais ça encore, ce n’était pas grand chose. Non. Blackmoon a réitéré avec une autre série et cette fois, de manière beaucoup plus grossière….
Sortie du premier tome du Cercle Secret, nous sommes en 2010. Le roman date de 1992. C’est donc une adolescente des nineties que nous devrions découvrir. Avec la culture et la technologie de l’époque. Et pourtant, ce n’est pas le cas. Dans le premier tirage de la série, c’est une Cassie utilisant un lecteur mp3 dans sa chambre aux murs décorés de posters de twilight et Linkin Park qui nous accueille dans son univers. J’avais beaucoup râlé à l’époque via ce blog et les réseaux sociaux et j’avais été contactée par l’éditrice de la série. Voici un extrait de mon article de l’époque :
“En effet, bien qu’écrit en 1992, le lecteur ne devra pas être surpris de trouver une référence à Twilight qui n’existe pas dans la version originale. (“Elle revoyait sa chambre, chez elle, en Californie, avec ses meubles en mélaminé blanc, ses posters de Twilight et sa nouvelle chaine MP3…” – p56 au lieu de « She thought about her bedroom at home, with her white pressed-wood furniture and her Phantom of the Opera posters and the new CD player…. ») L’intérêt? Faire de la pub ? Mettre l’oeuvre “au goût du jour”? Il est également bien connu que les lecteurs MP3 étaient courants en 92 tout comme Linkin Park qui ne s’est formé qu’en 96. Une telle prise de liberté est inacceptable tant pour l’auteure qui voit son titre dénaturé et temporellement dégradé, mais également pour le lecteur qui sera choqué et perdu au profit de “références plus simples à comprendre”. A quand Elizabeth Bennet lisant Twilight? Ou Dracula abandonnant les jouvencelles au profit du True Blood? Il est dommage qu’un tel désagrément se retrouve dans un titre qui n’avait rien demandé puisqu’il en devient le plus gros point noir.”
L’éditrice m’avait expliquée avoir voulu rafraîchir le texte. L’équipe de Blackmoon s’est excusé, a corrigé ce changement et a ressorti le premier tome avec une traduction fidèle à l’original. Alors pourquoi, aujourd’hui, sur un titre comme Frozen 2, Hachette recommence et fait encore pire ?
Nous sommes en 2020, une époque où la diversité et la représentation des minorité est essentielle. La question ne devrait même pas se poser. Et pourtant, en 2020, un éditeur français valide la suppression d’un couple homosexuel dans un livre destiné à la jeunesse. C’est l’excellent compte Planète diversité qui a partagé sa découverte sur Twitter. Alors qu’en VO, on nous présente Ada Diaz et sa femme Tuva, toutes deux forgeronnes (on nous présente d’ailleurs brièvement leur histoire), en VF, Tuva devient un homme et leur histoire est supprimée.
Dans une société où les minorités cherchent à être acceptées et représentées comme il se doit avec le respect qui leur est dû, comment, un grand éditeur comme Hachette peut se permettre ce genre de chose ?
Rien n’est cependant comparable avec ce qui est, selon moi, le plus gros scandale de traduction en France. Et personne n’en a parlé parce que la série victime de cette ignominie n’est pas connue du grand public (et quel dommage !).
Il s’agit d’une série que j’aime énormément et que j’ai dévorée en VO : Tiger’s Curse (La malédiction du Tigre en VF). Je vous en avais parlé dans cet article où je vous mettais d’ailleurs en garde contre la version sortie chez PKJ. C’est totalement par hasard que j’ai découvert le pot aux roses. J’écrivais justement ma chronique et j’ai découvert qu’une sortie en VF était prévue quelques temps plus tard. PKJ proposait un extrait à découvrir. Curieuse, j’ai décidé de le lire pour voir ce que donnait la série en VF. Et bien m’en a pris.
Traduction de mauvaise qualité, un texte redécoupé, massacré et, le pire de tout, la suppression totale d’un personnage. Si vous lisez le texte en VO, vous découvrez Nilima, un personnage secondaire auquel vous accrochez rapidement. Elle apparait de temps en temps, et bien qu’elle ne soit pas forcément indispensable à l’intrigue, certains moments du livre sont ce qu’ils sont grâce à elle. Mais qu’importe, puisque le traducteur a décidé de la supprimer, et de couper des paragraphes entiers de l’histoire où elle apparaît. Quant aux moments où ses actions sont indispensables, c’est à un autre personnage qu’elles sont dévolues peu importe la logique complètement détruite. Le respect de l’autrice ? Aux oubliettes….
Avoir découvert ce massacre aura permis une chose : déconseiller totalement le titre à mes clients et les pousser à lire la VO. Et ce, même si cela brisait mon coeur. Car cette série est si incroyable, si bien écrite, qu’elle méritait vraiment un traitement respectueux et une bonne communication de la part de l’éditeur. Non seulement les couvertures étaient affreuses, mais le texte n’avait plus rien à voir avec celui que j’avais tant aimé.
Comment, en tant que traducteur mais aussi en tant qu’éditeur, on peut se permettre tant de liberté, tant de mauvais choix, tant d’irrespect ? Vous vous en doutez, le titre a fait un flop et le public français n’a jamais eu la fin de la série….
Dans un autre registre, Pygmalion usa de ce procédé pendant plusieurs années avec une série bien connue du public : Game of Thrones. Le premier traducteur de la série (sur 4 intégrales sur 5 quand même), Jean Sola, a pris le parti d’alourdir le texte de Martin, de lui donner un côté plus soutenu et moyen ageux voire carrément indigeste par moment. Je vous laisse l’excellent article de Ninehank qui revient sur cette traduction et l’interview du traducteur par La Garde de nuit.
Deux questions se posent désormais : Comment la jeunesse d’aujourd’hui peut comprendre le monde actuel et se sentir représenté si les éditeurs effacent l’existence de couples lgbt+ et de personnages racisés ? Comment faire confiance en librairie, alors qu’il est déjà difficile pour un titre ou une série de se démarquer du reste, quand on sait quelles libertés sont prises ?
Le rôle d’un traducteur est de traduire. D’adapter dans la limite du raisonnable un texte. Pas de le tronquer, de le réécrire ou d’imposer ses préférences. Alors, Messieurs et mesdames les éditeurs et traducteurs, votre lectorat vous le demande : Respectez vos auteurices et votre lectorat. Sortez des traductions justes et correctes.
Cela me fait penser à la fin (et pas seulement, je crois) de Little Women, réécrite, à l’époque, par le traducteur Pierre-Jules Hetzel, qui ne correspond pas à celle écrite par Louisa May Alcott. J’ai appris cela quand j’ai lu le classique et ça m’a paru dingue… Bien contente davoir opté pour la traduction effectuée par Malika Ferdjoukh du coup !
C’est juste dingue ces histoires. Comment être certain à présent que le texte VF est bien la juste traduction du texte original ?! Impossible, on doit faire confiance :/ Pour Frozen 2 c’est scandaleux, surtout à l’heure actuelle où comme tu dis la représentation des minorités et de la diversité est essentielle.
Un article important qui parle d’un sujet dont on ne parle pas suffisamment. J’avais vu passer le coup de la suppression du couple de femmes dans Frozen 2. C’est triste que cela continue d’arriver. :// J’espère qu’à force de crier après les traducteurices et éditeurices, cela continuera de s’améliorer (car c’est déjà mieux que ça ne l’était).