«C’était bien un mariage d’amour qui s’annonçait. François-Joseph dictait, avec une chaleur inconnue, ses courriers. Il écrivit au tsar, “son cher et précieux ami”, son bonheur sentimental. La déception de Nicolas Ier serait grande quand François-Joseph l’écarterait de son alliance. La guerre rebondirait, meurtrière. Une enfant vêtue de rose avait suspendu un bref moment les fureurs des hommes.» Impératrice d’Autriche à seize ans pour avoir inspiré, d’un coup de foudre, un amour indéfectible à l’empereur François-Joseph à qui l’on destinait sa soeur Hélène, la belle Sissi a longtemps erré dans les corridors de l’Histoire, attendant de rencontrer une biographe à la mesure de sa personnalité. C’est chose faite avec Hortense Dufour, qui nous présente ici un portrait très vivant de l’impératrice controversée, celle qui mourut d’un coup de poignard donné par un anarchiste italien. Avec cet ouvrage qui lui restitue sa dimension d’Hamlet au féminin, la figure de Sissi échappe enfin aux regards mièvres pour apparaître dans toute sa complexité : une femme dotée d’un destin plus grand qu’elle…
Lorsqu’on évoque le nom d’Elisabeth, Impératrice d’Autriche nous vient tout de suite en tête le visage de la jeune Romy Schneider, sa célèbre interprète dans les films Sissi. Décors somptueux, histoire rose bonbon, jeune fille candide, le cliché de la parfaite petite princesse. On se rend vite compte, en lisant l’oeuvre d’Hortense Dufour, que la véritable histoire de cette femme hors du commun est loin d’être aussi idéale que dans ses adaptations cinématographiques.
Avec cette biographie, ce qui saute immédiatement aux yeux, c’est son volume. Pendant plus de 860 pages, le lecteur découvrira une jeune femme fragile, n’aimant ni Schönbrunn, ni l’Archiduchesse, fuyant son époux, traumatisée par sa nuit de noce. La vie de la vraie Sissi est bien loin d’être rose. Deuils, folie, maladies, séparations rythment une existence menacée continuellement par la mort. Elisabeth est suicidaire, dépressive, fuyant la vie, tentée par la mort et ses mystères, son calme, sa volupté. On la découvre anorexique, obsédée par son apparence et les années qui s’écoulent, s’infligeant alors des épreuves insupportables, ne mangeant quasiment pas.
“La foule, le vide sous la loge, le vertige, les regards… Franzi, si à l’aise, si heureux ! S’aperçoit-il de son angoisse ? Que faire ? La fuite ? Devant elle, l’ondoyant mouvement de la foule, à ses côtés, l’empereur, le roi, la reine Marie. A l’arrière, sa famille, tout autour, des gardes en figurants d’opéra. Existe-t-il une drogue opiacée qui calmerait cet effarant cataclysme intérieur ?
Il y a bien quelques jours heureux dans la vie d’Erzsébet, mais ceux-ci sont noyés dans les tragédies successives. Séparée de ses enfants, portant continuellement le deuil de l’adorable Sophie partie trop tôt, vouant un culte à sa petite dernière, elle fuit Rodolphe qui l’a ressemble et devient froide envers ses filles qui préfèrent leur père. Le seul amour d’Elisabeth, c’est ce cheval qui lui procure son sentiment de liberté, ces voyages qui la font bouger sans cesse, l’empêchant de déprimer dans cette Vienne qu’elle exècre où vit ce mari qu’elle délaisse et cette cour qui l’effraie.
On se sent proche de cette impératrice durant toute la lecture. Hortense Dufour développe pleinement le quotidien de la jeune femme. Un peu trop peut-être ? Sissi les Forces du Destin est une incroyable lecture dont on ne voit pas la fin. Un bon quart aurait pu être retiré de ce livre possédant des longueurs inutiles et des développements dispensables.
Il n’en reste pas moins que l’on s’enivre de cette lecture passionnante, qui offre une vision juste de l’impératrice d’Autriche. On en vient alors à se demander comment, avec une vie si remplie, si théâtrale, quasi magistrale, une série de films si pauvres ont pu voir le jour.
« Le malheur », répétait, amère, l’archiduchesse. Elle aimait à sa manière ses petites-filles, surtout l’aînée. Elle écrivit que si on avait laissé l’enfant à Vienne cette maladie si grave ne serait pas arrivée. Tout était de la faute de Sissi. Elle éclatait de colère impuissante dans ces corridors glacés, du côté de la chambre des enfants. La chambre vide… Elle avait peur et, pour la première fois de sa vie, ses mains tremblaient quand arriva la dépêche fatale. Elle était datée du 29 mai 1857. Pendant onze heures d’affilée, Sissi avait tenu la petite serrée contre elle. Elle avait expiré, dans les bras de sa mère, après une ultime convulsion, à neuf heures et demie du soir. Texte du télégramme de François-Joseph à sa mère : « Notre petite est un ange du ciel. Nous sommes anéantis. »
Avec cette biographie, on vit le récit, devenant un témoin de cette partie de l’Histoire, découvrant aussi les prémices de la Première Guerre Mondiale dont le contexte tendu est brillamment mis en scène. Car, plus que la vie de Sissi, on découvre la grande victime de cette épouse imparfaite, trop jeune, trop effrayée : son mari. François-Joseph se dévoile également tout au long du récit, tombant sous le charme de cette sirène injuste, subissant ses caprices, ses peurs, ses coups de folie, devant gérer seul les grands dilemmes politiques. Il survivra à la beauté d’Ischl qu’il chérit tant malgré le mur invisible les séparant. Un coup dur pour ce grand solitaire vieillit par l’inquiétude et la tragédie.
Parce qu’Elisabeth d’Autriche mérite d’être mieux connue, parce que l’image popularisée par son interprète Romy Schneider est fausse et scandaleuse, Les Forces du Destin est une lecture indispensable à tous les admirateurs de cette grande dame. Un passage obligé pour comprendre qui était vraiment Sissi, Impératrice d’Autriche.
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